« Je suis intéressée par cette idée qu'un cadre parfois très contraignant puisse générer une surprise »
Charleroi a su provoquer l’émoi derrière l’objectif de Marie-Noëlle Dailly, photographe et artiste pluridisciplinaire, passionnée d’urbanisme et d’architecture. Discussion autour de ses différentes casquettes inspirées.
Bonjour Marie-Noëlle ! Parle-nous de ton parcours…
Marie-Noëlle Dailly : « Je suis diplômée de l'ERG à Bruxelles, en pratique artistique, où j'ai plus particulièrement pratiqué la photographie (dans l'atelier de Jacques Vilet et Gilbert Fastenaekens). Je suis attachée au paysage, à l'architecture, l'architecture vernaculaire, aux formes de sculptures involontaires issues du paysage urbain. »
Carolo depuis toujours ? Et pour toujours ?
M.-N. D. : « Non, je suis née à Tournai. J'ai habité Nivelles, Bruxelles, les Ardennes. Charleroi, c'est aussi bien qu'ailleurs ! Je me méfie des logiques identitaires. Je ne milite pas pour cette ville mais je n'aime pas les images « négatives » qu'on lui colle. Comme toutes les villes, elle se transforme. Elle a un passé, une histoire, des histoires... qui méritent que l'on s'y intéresse. »
Tes différentes casquettes sont tes passions. Peux-tu nous les décrire ?
M.-N. D. : « Je suis photographe avant tout ! Ce que j'aime particulièrement dans la photographie, c'est qu'elle ne peut se départir du réel, d'un sujet : elle enregistre et elle rend compte. Mais en même temps, je cherche à révéler quelque chose qui lui échappe, quelque chose d'invisible mais constitutif, quelque chose d’enfoui. Sa dimension poétique ? Cela passe par la construction de l'image elle-même. L'architecture et l'urbanisme des villes me passionnent. Il y a un auteur, un entrepreneur, un cahier d'exécution, un schéma directeur et, malgré tout, un grand espace de liberté. Une sorte d'inattendu émerge de la mise en commun. Certains dirons que c'est moche, que c'est beau, que c'est raté ! Honnêtement, je ne sais pas... Je reste dans l'étonnement. Ça m'émeut en général ! »
Tu as aussi été co-commissaire de l’espace d'exposition Incise...
M.-N. D. : « Effectivement, de 2007 à 2020. Il s'agissait d'une vitrine située dans le passage Bernard. Elle existe toujours mais nous avons rendu les clés l'année passée. Avec mon compagnon Benoit Dusart, nous y avons invité de nombreux artistes à proposer des installations spécifiques. Parce que nous ne pouvions pas y entrer, le lieu offrait l'occasion aux artistes de construire des propositions délibérément tournées vers l'espace public. Aujourd'hui, nous collaborons avec l'Eden sur la programmation de triptyques exposés dans la Brasserie. C'est un autre format ! Je suis très intéressée par cette idée qu'un cadre parfois très contraignant puisse générer une surprise. »
Depuis cette rentrée, tu donnes cours de photographie à l'Académie des Beaux-Arts de Charleroi Alfonse Darville. Quel regard portes-tu sur l’enseignement, la transmission ?
M.-N. D. : « C'est un métier éprouvant au sens positif du terme. Accompagner chaque élève dans la réalisation de son projet nécessite d'entrer dans des univers qui ne sont pas toujours les miens au départ. J'apprends énormément au contact des élèves. Il faut questionner avec délicatesse, bousculer en douceur, provoquer sans s'imposer... Enfin, cela peut apparaître anecdotique mais cette dernière casquette me tient à cœur : je suis joueuse de roller derby et co-gestionnaire de la ligue de Charleroi : les Blackland Rockin'K Rollers. Ce sport d'équipe s’apparente à des courses de vitesse avec contacts en patins à roulettes. Outre la dimension sportive, c'est aussi un espace où l'esprit coopératif, les valeurs de mixité et d’intergénération sont très présentes. »
Charleroi peut-elle être une source d’inspiration ? Quelle est ta vision de la ville ?
M.-N. D. : « Oui bien sûr ! Il n'y a pas assez de prétention ici, la ville possède des richesses insoupçonnées. Elle a été le terrain d'expression et de réflexions de grands architectes modernistes qui ne sont pas assez mis en valeur (Bourgeois, Leborgne, Yernaux, etc.). Elle a vu passer Rimbaud, Barbara, Magritte. Elle témoigne de l'apogée et du déclin de l'histoire industrielle. C'est une ville fonctionnelle qui s'est peu souciée d'esthétisme mais qui, en bonne logique fonctionnaliste, en a produit malgré elle. C'est une ville collage qui génère toujours de nouvelles rencontres visuelles. Une ville qui surprend. »
Où peut-on te croiser ?
M.-N. D. : « Dans les rues de Gilly, Jumet, Marchienne, Loverval, sur les traces de Leborgne, Depelsenaire, Yernaux, Petit... mais aussi de quidams qui affichent parfois ostensiblement, parfois timidement, parfois accidentellement, leurs intentions esthétiques. »
Quels sont tes prochains projets ou envies ?
M.-N. D. : « Je prépare un ouvrage sur les œuvres complètes de Marcel Leborgne (architecte carolo emblématique du mouvement moderniste) avec Iwan Strauven. J'aimerais poursuivre un projet entrepris récemment pour l'ICA, l’Institut Culturel d'Architecture - Wallonie-Bruxelles, sur des habitats groupés identifiés comme des lieux où la vie communautaire est plutôt « imposée », comme des internats étudiants, une caserne de pompiers, etc. Des endroits où les occupants n'ont pas nécessairement choisi d'être ensemble… Dans ce contexte, il m’importe de voir comment l'architecture intervient. Je suis actuellement le chantier de construction du nouveau GHDC à l'entrée Est de Charleroi. Un lieu très fort symboliquement et très généreux visuellement. Le chantier charrie un vocabulaire sculptural qui semble infini. J'aimerais beaucoup en faire une édition. »
Texte : Marie Hocepied
Photos : Marie-Noëlle Dailly
En savoir plus :
Une interview de Marie-Noëlle Dailly sur les lieux communs, projet entrepris pour l’ICA : Facebook
L’espace d’exposition : www.incise.be
Sa ligue de roller derby : Blackland Rockin' K-Rollers | Facebook
Cet article a été réalisé avec le soutien de En Mieux.